Pour
analyser la dernière conférence sociale la thématique la plus répandue
est celle d'un échec pour le pouvoir et sa politique de dialogue
social. La non participation des principales organisations syndicales
serait le signe le plus tangible de la crise de la politique sociale de
ce gouvernement et du président.
Même dans la gauche la plus radicale, c'est le thème de la dérive, de
la trahison qui semble l'emporter avec en ligne de mire l'échec
annoncé, inévitable : en tournant le dos à sa base sociale le PS se
condamne lui-même. Il y a dans les formes les plus extrêmes de
condamnation, l'espoir d'un redressement face au désastre, d'un sursaut
du peuple de gauche qui contraindrait la majorité, ou une partie d'entre
elle à changer. L'attitude vis à vis des frondeurs du PS est
significative : leur reprocher de ne pas voter contre les lois
gouvernementales c'est laisser croire qu'il suffirait d'un recours à une
« pureté de gauche » pour créer les conditions d'un changement
politique. L'échec du Front de gauche à recueillir les « déçus de la
gauche » montre que ce n'est pas si simple.
La crise du système politique, mais plus largement de la politique
comme moyen de changer la société, est là. Nous devons intégrer cette
donnée.
De ce point de vue, ce qui peut apparaître comme absurde dans les
décisions gouvernementales traduit un choix, une logique de
recomposition de la politique et du système que nous ne pouvons ignorer.
Le bilan de la conférence sociale se présente alors sous un autre
jour : c'est une étape supplémentaire dans la mise en place de ce qui,
pour y donner un lustre idéologique, est maintenant baptisé « socialisme
de l'offre » et « affirmation d'une nouvelle gauche ».
Dans la ligne du pacte de responsabilité, mais en franchissant un
degré supplémentaire de soumission aux revendications patronales, Valls
annonce que le gouvernement recule dans le temps ce qui était négocié en
matière de pénibilité pour la retraite. Cette provocation (puisqu'elle
remet en cause la « victoire » de son principal allié syndical la CFDT
et fait apparaître cette dernière comme ridicule) n'est qu'une piqûre de
rappel douloureuse du thème central de l'argumentation du PS : le
chômage est intolérable mais on ne peut y mettre fin que par la relance
des entreprises qui seule relancera l'emploi. Cette nouvelle version du
théorème de Schmid impose de tenir compte des difficultés, des besoins,
des demandes des entreprises. Toute la conférence sociale a servi à
conforter cette offensive idéologique. C'est ce qui justifie que
Hollande, puis Valls, prennent acte du boycott des organisations
syndicales en notant qu'elles s'excluaient elles mêmes du débat public.
Une fois de plus c'est la marginalisation des forces qui luttent qui
est mise en scène par les responsables du pouvoir : il y a une réalité
est ceux qui ne veulent pas l'admettre ont toujours le droit d'avoir
tort ! Cette pensée unique se donne à voir tous les jours : quand y
a-t-il des émissions à des heures de grande écoute ans les médias pour
que des syndicalistes expliquent leurs points de vue, répondent à des
objections : pas de pluralisme, pas de démocratie, …
Ce mépris, ce désintérêt pour ce que pensent des parties importantes
du peuple de gauche nous le retrouvons dans la prise de position
scandaleusement pro-israélienne de Hollande et dans son adhésion aux
manipulations médiatiques sur cette affaire.
Comme si chaque évènements devait donner lieu à la soumission aux pouvoirs en place, à la soumission à la loi du plus fort !
Après quelques « protestations » d'usage banal le dirigeant de la
CFDT s'est rallié au nouveau cadre du plan de responsabilité sans
contrepartie réelle pour les salariés. C'est l'effet de sa soumission
idéologique au libéralisme et l'acceptation de la primauté du patronat,
idée qu'elle pense largement partagée par sa base. Mais elle estime
aussi qu'il y a là un espace à prendre à la faveur des difficultés
stratégique du syndicalisme de lutte : la direction confédérale joue sur
la disparition d'un syndicalisme fondé sur des collectifs de salariés
contre les patrons et son remplacement par une représentativité
syndicale validée par le haut par le pouvoir politique sur la base d'une
représentativité électorale dans les élections internes aux entreprises
(où toute une partie du salariat n'a pas sa place). Voici donc la
démocratie sociale organisée suivant des règles qui sont celles-là mêmes
en crise dans le champ du système politique. On retrouve là les
caractéristiques que l'on voit à l'œuvre : une démocratie quasiment
censitaire qui accepte que de larges parties du peuple n'exercent plus
leur droit de citoyen.
Toutefois, rien n'est joué, et surtout pas le succès du PS et de son
groupe dirigeant dans cette tentative de construire un consensus
centriste contre nous et contre la droite. La crise de cette dernière,
sa décomposition pourrait apporter à Hollande le temps nécessaire pour
mener à bien sa dissolution du peuple de gauche et son remplacement par
les nouvelles bases sociales – des cadres moyens modernes - recommandées
par Terra Nova.
L'ampleur de la mutation organisée par le groupe dirigeant du PS et
de l'Etat est telle que les stratégies anciennes ne fonctionnent plus :
il ne suffit plus de « rééquilibrer la gauche », de gauchir une nouvelle
majorité rouge rose verte qui existerait déjà. Il ne suffit pas non
plus de radicaliser des mouvements sociaux pour arracher des
revendications mettant en cause la logique de la politique néolibérale.
Nous devons travailler modestement à notre place pour une crise
sociale et politique qui grippe le fonctionnement des institutions, qui
casse la logique d'austérité.
Nous ne partons pas de rien et c'est un des apports du FDG : la
tentative de marginalisation de notre camp, sa réduction à un rôle
symbolique a échoué-; au contraire les prises de distance d'EELV ou de
la gauche du PS (pour limitées qu'elles nous apparaissent suivant les
critères traditionnels de la vie politique) sont un élément positif,
l'ouverture de discussions nécessaire..
Nous devons viser une crise qui change les termes du débat politique
sous peine de voir une réponse autoritaire (droite et extrême droite)
s'imposer.
Pour ce faire, se pose dès aujourd'hui la question de la constitution
d'un front politico-social qui par ses luttes, ses exigences soit à
l'origine de la mise en crise du système et fasse valoir bien avant la
crise ses propositions d'alternatives : c'est à cela plus qu'au seul
commentaire de la politique gouvernementale qu'il faut donner la
priorité (en soutenant les propositions du Collectif après la Marche du
12 avril).
La question des mobilisations populaires est centrale et nous devons
organiser le débat sur la stratégie, la popularisation des
mobilisations, leur mise en commun pour en faire des outils de
construction d'une alternative. Il nous faut un cadre collectif où
puisse se discuter les expériences de reprises d'entreprises, où puisse
se discuter les bilans des luttes qui ont marqué et qui marquent encore
la période : la SNCF où nous n'avons pas su en faire un enjeu commun,
ou les actions des intermittents qui posent en termes politiques la
question de la précarité mais aussi du travail ou celle de la
démocratie.
Hollande a fait ses paris sur 2015 : dès maintenant, nous sommes
attelés à le faire échouer pour que s’affirme une alternative sociale et
écologique.
Etienne Adam.
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