Les mots ne sont pas innocents, le vocabulaire employé par le
gouvernement caractérise l’idéologie qui sous-tend cette réforme. Le
« millefeuille » territorial serait trop « compliqué», les Français n’y
comprendraient plus rien. Les journalistes tournent en boucle sur ce
thème.
Deuxième vérité révélée, en simplifiant le « millefeuille » on
fera des « économies considérables ». Ou encore : La « modernité » c’est
modifier ces structures héritées de la Révolution, elles ne sont plus
adaptées au XXIe siècle. Enfin, l’objectif c’est la « compétitivité »
des territoires par rapport aux grandes capitales européennes et
mondiales. En Europe il y a beaucoup moins de strates de collectivités
(ce qui n’est pas vrai, par contre il y a beaucoup moins de communes).
Voilà le petit vocabulaire sur lequel s’appuient les affirmations sans
démonstration de nos journalistes chargés de faire passer la réforme
territoriale dans la tête des Français.
Par contre il y a des mots qui
nous manquent. « Décentralisation » On ne parle plus de « l’acte III »
mais de « la réforme territoriale ». Il manque cruellement les mots de
« démocratie », de « démocratie participative », de conseils de quartier
et de budgets participatifs. Le terme de « coopération » est remplacé
par « compétitivité » et concurrence. L’idéologie néolibérale est au
cœur de cette réforme.
Vous avez dit économies ?
Si c’est la réduction du nombre d’élus qui doit produire ces économies (il est aussi répété qu’il y a trop d’élus).
C’est une supercherie, le coût des élus dans un département comme la
Seine-Saint-Denis, tout compris, personnel, locaux, divers frais… est de
0,4 % du budget.
Par contre si l’on prend les dépenses sociales (431 millions d’euros)
qui sont l’essentiel du budget de fonctionnement, le réduire fortement
consisterait à réduire le personnel, alors qu’il travaille déjà dans de
mauvaises conditions. On ne peut supprimer le personnel sans porter
atteinte au service, on ne peut vendre les bâtiments où ils travaillent.
Ce qui nous amène à nous interroger n’existe-t-il pas une la volonté de
baisser les dépenses sociales qui se cacherait derrière la réforme
territoriale ?
Il est par ailleurs faux d’affirmer que les français ne s’y
retrouvent pas. Par exemple les dossiers de l’APA pour les personnes
âgée sont déposés en mairie et transmis au conseil général qui les
traite et assure le paiement, si le conseil général disparaissait, il
faudrait malgré tout déposer les dossiers en mairie et ce n’est pas la
mairie qui traiterait le dossier et assurerait le paiement, où est la
simplification ?
Vous ne parlez plus de démocratie
À l’époque du gouvernement Jospin on parlait beaucoup de démocratie
participative et de la nécessité de créer des conseils de quartier, Les
débats soulignaient les limites de la démocratie représentative et de la
nécessité de l’intervention des citoyens. Aujourd’hui c’est la
démocratie représentative même, qui est menacée, il y aurait trop
d’élus. Aujourd’hui ce que l’on peut tenter de déchiffrer de cette
réforme c’est que seront supprimés les intercommunalités et les
départements en IDF. Il resterait donc les communes sans la compétence
essentielle de l’urbanisme, la Région et la Métropole qui serait
l’acteur principal. Peut-être une strate de territoires intercommunaux
sur la base des Contrats de territoire mais sans moyens financiers et
avec des compétences non définies. La métropole de Paris qui prendra
l’essentiel des décisions sera pilotée par une assemblée dans laquelle
les élus feront de la figuration.
Ne plus être entravés par les décisions des assemblées élues locales
et encore moins des citoyens, réduire fortement les dépenses publiques,
favoriser la valorisation du capital, développer la concurrence entre
les hommes et les territoires voilà le sens profond de cette réforme.
Baisse de la dépense publique
Il faut se souvenir que la réforme Raffarin dite acte 2 de la
décentralisation était une vraie décentralisation, elle décentralisait
des compétences de l’État vers les départements et les régions.
Mais l’autre dimension de cette réforme c’est le transfert de
compétences non compensées ou partiellement compensées. Le mécanisme est
destructeur, l’État transfère une partie de ses dépenses, il ne les
compense pas totalement et supprime la possibilité pour les
collectivités de lever l’impôt en transformant ses recettes en
dotations. Les normes de l’Europe qui appellent à baisser les dépenses
publiques passent bien entendu par celles des collectivités et il n’y a
rien de plus facile que de baisser les dotations au nom de la crise et
de la règle d’or.
Quelles pistes alternatives ?
Mais d’abord posons-nous la question faut-il changer ce qui existe et pourquoi ? Ce qui est certain c’est que sur des territoires comme celui de la métropole il faut une meilleure coordination des projets territoriaux, plus de coopération. En région rurale il faut également des coopérations fortes entre petites communes et plus généralement entre collectivités si on veut rendre ces territoires plus attractifs (il faudrait développer sur la nécessité d’une nouvelle ruralité). |
La place des citoyens dans les processus de décisions et les formes qu’elle peut prendre sont au cœur de la réponse alternative.
De même, pas de réforme territoriale sans réforme de la fiscalité
locale. Il ne s’agit pas simplement d’une péréquation entre territoires
pauvres et territoires riches mais de faire participer le capital au
financement des collectivités (elles sont le premier investisseur
public).
Il faut poursuivre la décentralisation et développer les mécanismes
de coopération entre les communes (examiner ce qui se passe dans les
communautés d’agglos) et entre les collectivités.
Mais si cela marque l’essentiel, cela ne résout pas tout. La
coopération c’est la possibilité de donner du sens de créer des projets
sur des territoires plus vastes que l’échelon communal ou même
départemental.
Le regroupement des régions et la suppression des départements ne
sont pas le cœur de la question le débat de fond est empêché, les
citoyens ne sont pas consultés.
Que proposons-nous ?
Agir avec tous ceux qui ne veulent pas d’une telle réforme pour
qu’elle ne passe pas en l’état. Plus encore il faut construire une
proposition alternative qui ne soit pas le statu quo parce qu’il y a un
effort considérable de démocratisation à réaliser pour vivre autrement
dans la cité et revitaliser les territoires ruraux. Donner tous leur
sens aux services publics.
Malheureusement si des critiques justifiées de la loi se développent
les forces de transformation sociales et écologistes n’ont pas vraiment
de proposition alternative, c’est urgent comme l’est l’émergence d’une
VIe République.
Pierre Laporte. Publié dans le numéro de juillet et août 2014 du bulletin d'Ensemble.
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